A vrai dire ... mon caractère se reflète dans mon physique ... alors ... D'abord je suis petite, beaucoup trop petite. Mais je n'aime pas les artifices donc vous ne me verrez pas porter de talons ou ce genre de choses superflues. Je l'accepte, enfin disons que je n'ai pas vraiment le choix hein. Je m'accepte plutôt. Pendant très longtemps avoir mon corps n'était pas une chose facile. Mal dans ma peau, tout à fait. Et les choses n'ont pas vraiment changé. Je ne mange que très peu et j'ai l'air d'un vrai moineau. Il est rare que je parle. Que je m'exprime, je préfère écouter, silencieuse. Et ne parler que quand c'est nécessaire. J'ai appris que parler ne changeait rien du tout. A part nous faire perdre du temps. Qu'il fallait mieux subir les choses et attendre que ça passe. Que se défendre était inutile. Que rien dans le fond n'était vraiment utile. Et surtout. Que personne ne voulait de moi. Qui pourrait vouloir de moi de toutes manières. Je ne suis qu'une ... hm ... moi. Si même celle qui m'a mise au monde n'a pas pris la peine de savoir qui j'étais. De voir si je valais la peine. De me garder plus de quatre mois. Alors si même elle n'a pas pris le temps de le faire ... qui le fera?

Un corps sale. Trop souvent l'hôte de poisons. De tant de choses que j'ai laissées faire. De tant de choses que j'avais subies. Un corps que je ne supporte pas. Que je refuse de nourrir. Qui n'est qu'une enveloppe en soit. Me défendre? Avec quelle force? Avec quels muscles? Avec quelle volonté. Je suis un trou béant. Je suis une âme en peine qui cherche le salut. Inutile de vous dire que je suis pessimiste, que je ne déborde pas de joie. Que ... je ne crois pas en le miracle de la vie. Jamais je ne donnerai d'enfants. Sèche, vide et souillée. Il faudrait peut être que je puisse muer. Encore faut il en être capable ... Encore faut il le vouloir. L'envisager. Le penser.

Des habits. Oui quand même. se couvrir, se cacher. Il le faut bien dans ce monde. Peureuse. Peu sûre de soi et comme un ovni sur cette terre. Je ne suis pas à ma place, je le sais, je le sens. Et je ne dors pas. Jamais. Dormir ne sert à rien. Dormir ne fait que ressortir mes pires démons. Peur de l'abandon et pourtant désespérément seule. T-Shirt beige, marron. Rien qui met en valeur. Pantalon ocre ou couleur sable. Cheveux malicieusement indomptables. Pas de signe de coquetterie. Pas de bijou. Pas de maquillage. Aucun signe d'affection. Aucun objet fétiche. Rien. Puisque ... ça ne sert à rien.



Une vie simple ... pour une fille simple ... si seulement je pouvais commencer mon histoire ainsi ... si seulement c'était possible de mettre un sourire sur mon fichu visage et vous dire que tout va, que la vie est belle que les oiseaux chantent, que le soleil est bienheureux. Que notre monde ne part pas à la dérive et que moi même je ne le suis pas ... Si seulement ... «

Evaelle S. Carter

<< Tu ne sers à rien! Tu ne sers à rien Evaëlle! >>
Née en Écosse je ne sais pas précisément bien où, je n'ai jamais vraiment eu de parents. On n'a jamais bien su ce qui s'était passé. Qui se souvient des quatre premiers mois de sa vie? Pas moi et pourtant croyez moi je donnerais tout pour pouvoir, mais non. Déposée à la porte d'un orphelinat sans note, sans rien, dans le froid humide d'un cinq mai. C'est cette date qu'on me donne pour naissance. Dieu seul sait pourquoi j'ai été laissée là, qui étaient mes parents et pourquoi au bout de seulement quatre mois on m'a abandonnée. Souvent j'y repense. ça me travaille souvent. Mais voila, ces parents, non ils ne méritent même pas ce terme plutôt affectueux, ces géniteurs disons, n'ont pas choisi de me déposer à la bonne porte. Un orphelinat pour fille, qui s'est révélé un vrai enfer.

<< Le respect des règles est primordiale Evaëlle >>
Les cinq premières années étaient supportables, oui nous étions toutes jeunes, pas encore assez conscientes pour pouvoir réellement comprendre ce que les plus âgées subissaient. Nous aurions pourtant du nous demander pourquoi personne ne venait jamais en visite, pour nous adopter. Nous étions pourtant de bonnes filles. Et puis à cinq ans j'ai compris. Que je n'aurais jamais une vie comme les autres. Bon je n'avais pas le recul que je peux prendre maintenant. Mais c'est une chose que l'on sent. Nous étions nourries aux vacheries. Celles qui n'obéissaient pas étaient envoyées au placard. Des mots doux? Non aucun et gare à nous si on cassait une assiette ou descendait en retard pour manger.

<< Viens dans mon bureau ma jolie >>
Et puis j'ai eu le malheur de prendre la défense d'une amie. Le directeur n'a pas été content et j'ai été convoquée dans son bureau. Pour ou contre quoi je l'avais défendue ... je ne sais plus ça fait trop longtemps -ou peut être bien que je ne veut pas m'en souvenir!? C'est là que ça a commencé. Je ne vais pas vous faire de dessin. Mais un bureau froid, où trop de jeunes filles avant moi sont passées. Et sorties le visage en larmes. Et je ne dérogeais pas à la règle. Encore maintenant je n'aime pas parler ou penser à ça. Et j'ai perdu le sommeil. Du moins le peu que j'avais. De peur qu'on m'appelle. De peur de revoir ce bureau. Ce qui ne manquait pas à chaque chose qui ne plaisait pas. Mais aussi pour les choses qui plaisaient.

<< T'as un joli p'tit corps, et si t'en profitais!? >>
Seize ans. Non scolarisée, je me suis appris moi même à lire écrire et ce genre de choses pourtant vitales. J'étais en prison. C'était une prison ici et jamais nous ne sortions. Nous instruire était absolument inutiles, nous étions pour eux, le directeur, les autres ... la lie de la société, ceux que l'on préfère enfermer parce qu'ils dérangent. Ceux dont personne ne veut. Ceux à qui on ne donne pas la chance de trouver quelqu'un pour vouloir d'eux. C'est pourtant là que l'on m'a propulsée dehors, moi et certaines filles de mon âge. Mais dehors était un bien grand mot. Maquillées, habillées, nous étions des poupées. Nous vendions notre âme au plus offrant. Nous étions les donneuses de plaisir, celles vers qui l'on va quand son épouse ne veut pas assouvir un fantasme un peu osé. Et nous ne pouvions pas bronché. Certaines ont essayé de fuir. Mais personne n'a jamais réussi. Et la petite Evaëlle que j'étais a été souillée. A jamais. De manière indélébile.

<< Parce que tu crois qu'il y a un avenir en dehors de ces murs, Eva? >>
Vingt ans ... voilà ... jour après jour. Nuit après nuit. C'est ainsi. Je me débecte. Je me répugne. J'évite les miroirs ou les choses qui peuvent me montrer un reflet de moi même. Le monde change. Mais je ne le voit pas. Trop absorbée par mon quotidien fait de passes ... de nourritures ... encore des passes. Et ... toujours pas de sommeil. Jamais de sommeil. Jamais plus. Je dors debout, je dors les yeux ouverts. Je dors parfois avec les clients. Qu'ils fassent leur affaire ... et adios. Et puis je l'ai rencontré. Il était beau. Il était blond. Et son sourire promettait des paradis artificiels. Utopiques. J'aurais du m'en douter. Il a déclarer vouloir me prendre avec lui, fuir loin d'ici. Partir sans revenir. Mais c'était impossible. Couru d'avance. Aucun espoir. Et toujours plus de sommeil. Le sommeil apporte l'incertitude, l'incertitude amène le doute et le doute ...

<< Il faut voir la réalité en face >>
Vingt deux ans ... je ne l'ai plus revu. Il n'est plus revenu. Est il encore vivant? Dieu seul sait encore une fois. Mais j'avais été prévenue. Ces genre de plans n'étaient pas acceptés. Et puis un jour. Une lumière. Au bout du tunnel. Sous la forme d'un uniforme. On peut dire ce que l'on veut de la police. Quand elle fait son travail ... elle assure. Comment ont ils fait? Aucune idée. Mais ils sont venus un soir. Le directeur était paniqué. Il a même essayé de faire brûler l'établissement. Et puis ... il était encore là en fait. Dans son uniforme. Tout de bleu. Blond et toujours aussi sexy. Mais recouvrir la liberté comme ça ... Du jour au lendemain ... était-ce la meilleure chose?

<< Errer Humanum Est >>
Vingt cinq ans. Depuis trois ans. Je suis un fantôme. Je ne demande rien à personne. Je ne fais confiance à personne. Le beau blond est sorti de ma vie depuis bien longtemps. Il a eu ce qu'il voulait. Il a eu sa promotion. L'arrestation du directeur pédophile et proxénète vous fait à coup sûr monter en grade. Et puis ... ce n'était que des paroles en l'air n'est ce pas. Pourquoi les avoir prises au sérieux. Il n'y a pas un seul jour où je ne le regrette pas. Pas un seul jour où je ne me souviens pas de son visage indifférent à mon regard luisant de reconnaissance. Et ... toujours aucun sommeil. Ces histoires ... le monde qui change. Me défendre? Pour quoi faire? Me protéger? Pourquoi faire!? Vivre, non survivre. Errare Humanum Est ... Errer Humanum Est ...